lundi 25 juin 2012

Pastels de Gérard Jan


Quant au pastel, c’est aussi une technique ancienne, employée continûment depuis le XVe siècle, par Léonard de Vinci ( 1452-1519), Charles le Brun (1619-1690), Robert Nanteuil (1623-1678), Rosalba Carriera (1675-1757), Jean Siméon Chardin (1699-1779), Jean-Étienne Liotard (1702-1789), Maurice Quentin de La Tour, (1704-1788), Jean Baptiste Péronneau (1715-1783), Degas (1834-1917), Odilon Redon (1840-1916), Edouard Vuillard (1868-1940). Entendons-nous sur le sens du mot pastel : il s’agit pour cette série de peintres à la suite desquels s’inscrit notre artiste, de pastels secs, les pastels gras étant des inventions du XXe siècle. Les pastels secs sont des pigments mêlés à une charge de poudre de craie et à un liant, la gomme arabique. On les trouve en bâtonnets, en carrés, en crayons, plus ou moins friables ou durs selon le dosage des constituants. L’effet immédiat du pastel a séduit depuis longtemps les graveurs, astreints à travailler à l’envers et à un rythme lent : Nanteuil s’en servait pour esquisser en deux heures ses portraits au burin qui lui coûtaient des mois de travail. Mais pour Gérard Jan le pastel est aussi le résultat de longs préparatifs. Il connaît les recettes de Rubens et toute la cuisine des peintres anciens. Il fabrique lui-même ses fonds plutôt que d’employer ceux du commerce. Il étend sur un carton de bois mince, chimiquement neutre, un apprêt où entrent de la poudre de marbre, de la colle, du gesso et un pigment, vert, brun ou gris. Le fond obtenu présente une surface abrasive, qui accroche bien la craie et est gourmande en pastel. Le fond est lui-même fait de plusieurs couches. Le fond vert sombre, dit verdaccio, fait ressortir par contraste les tons roses des chairs. Le fond gris a une sous-couche de rouge. Le choix du fond est le début d’une stratégie des couleurs, il fait la moitié de l’œuvre. Après la confection du fond vient un dessin préparatoire sommaire, au fusain ou à la sanguine, qui met en place les masses et leurs proportions, puis la mise en couleurs qui conjugue plusieurs facteurs : le jeu d’opposition entre les teintes chaudes et froides, la complémentarité des couleurs, qui s’exaltent l’une l’autre et dont les effets optiques ne sont pas simplement proportionnels à leur surface, mais résultent aussi de la proximité et du contact des zones. Outre cette géométrie des couleurs et des formes, il faut encore chercher une écriture, une façon de tracer ou d’estomper le trait, de mêler les teintes ou de laisser voir les couches sous-jacentes par transparence après avoir appliqué un fixatif à chacune. Gérard Jan laisse sous nos yeux une surface entièrement travaillée, un dessin fini, qui ne laisse rien d’inachevé. La surface visible est granuleuse, inégale, lacunaire, elle laisse entrevoir les dessous, la profondeur des couches et leur superposition. Tels sont pour le pastelliste, les armes et le périmètre du combat avec l’ange.
Les voyages de l’artiste dans la zone méditerranéenne ont laissé des traces dans son œuvre : les cyprès, les toits en terrasse, les pins parasols, les murs aux couleurs vives. On y retrouve la Rome antique, mais aussi des immeubles modernes ou contemporains. Ce qui importe, c’est moins l’identité du bâtiment que la géométrie de ses murs. Leurs formes rectangulaires, présentées volontiers de front, contrastent avec les bouquets arrondis et irréguliers des arbres, ou les nuages d’un blanc cotonneux. Les ombres bleues froides s’opposent aux murs ensoleillés, les arbres en boules opaques aux lances des cyprès. Le vide de ces cités imaginaires, intactes et silencieuses, sans habitants ni traces de vie, n’est plus celui des premières gravures : ni Pompéi, ni Hiroshima, ce ne sont pas des ruines où la vie passée aurait laissé des traces, ce ne sont pas non plus des décors de théâtre qui attendent encore l’arrivée des acteurs et le lever de rideau, ni des visions futuristes d’architecte optimiste. C’est « un rêve de pierre », une sélection dans un monde réel et chargé d’histoire, faite par un regard qui ne voit pas les déchets, les autos, les fils électriques, les panneaux de signalisation du paysage moderne. Haïssant le mouvement qui déplace les lignes, Gérard Jan ne voit plus que la Beauté des formes pures, dans un présent qui peut durer une éternité.

Michel Wiedemann
Bordeaux juin 2012.

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