mercredi 18 février 2015

Texte d'Yves Callet-Molin

La Passion silencieuse

Il est des êtres que la nature a dotés merveilleusement, au-delà des critères de normalité. Ils ont, dans leur discipline, des talents si singuliers qu’ils semblent appartenir à un autre monde. Si la musique permet la reconnaissance précoce de ces talents, d’autres arts sont plus discrets dans leur expression.
Gérard Jan fut tout d’abord ce dessinateur et graveur qui forçait la considération des maîtres - comme René Izaure, qui le traitait en fils spirituel - par la virtuosité du trait, la sûreté du geste, alliées à une sensibilité et à un regard. Il a su ne pas se contenter de cette dangereuse facilité, la dépasser en travailleur infatigable et acharné, faisant preuve de rigueur et d’une patience de Bénédictin dans le ciselage de ses plaques.
Gérard Jan grave comme Piranèse, Dürer et Rembrandt. Ses eaux-fortes sont un hymne au clair-obscur ; elles allient densité et finesse, force expressive et légèreté. Ses paysages fouillés à l’extrême mêlent subtilement les ambiances d’un âge reculé, médiéval ou classique, aux traces d’une révolution industrielle, nous plongent en des mondes parallèles, jouent des rapports d’échelles. L’époque est à la rapidité de réalisation. Comme un Desmazières aujourd’hui, il fait partie de ces très rares artistes qui conjuguent le patient labeur de plusieurs mois sur la même plaque au talent créateur et à la singularité expressive. Sa très grande discrétion et son humilité complètent le tableau d’un artiste au plein sens du terme, éloigné des feux de la rampe et de ses clinquants, peu préoccupé d’occuper le devant de la scène, en un temps où le seul discours et la suffisance font souvent office de talent.

La technique virtuose de Gérard Jan l’amène à transcender les règles et possibles de l’encre-monotype. Si la gravure le pousse aux confins de la technique, en des mondes de profondeurs et de lumières qui se livrent en un travail de longue haleine, l’encre-monotype requiert un état mental particulier, un geste rapide et sûr. Dépouillement et force, pour dire l’essentiel. Avant que l’encre ne sèche sur la plaque de cuivre, il y installe la retranscription époustouflante d’objets du quotidien qui en deviennent sculpturaux, les installe en lisière d’un fond sombre, jouant du plein et du vide, fait preuve d’un sens aigu de la composition, du cadrage et des tensions qu’ils génèrent. La plaque est essuyée pour que ne subsiste que cette mince trace sombre qui dessine l’œuvre, en positif comme en négatif, par soustraction de l’encre. Avant que d’attaquer la plaque, il a, dans sa tête, composé déjà son œuvre, humidifié son papier Rives, préparé les Chine et Japon qui attendent, humectés, d’insuffler de nouvelles valeurs à cette épreuve unique.

Sa quête actuelle nous parle de Rome et de l’Italie, de ses paysages urbains et de ses collines, et encore des arbres, des futaies, tracés d’un branchage et au pinceau. Le poète nous invite en son jardin.

Maître du noir et blanc, Gérard Jan joue avec un égal bonheur de la couleur. Le pastel est son medium. En couches superposées, laissant transparaître les strates inférieures dans un velouté de tons rares, ses paysages ont cette même force expressive et vibrent de ces sous-jacences. La singularité de son écriture se retrouve dans l’art de mettre en espace ses compositions. Sa science de la couleur et un sens inné des juxtapositions osées provoquent des fulgurances qui forcent l’évidence.

Habitué déjà de nos cimaises, après une première rencontre lumineuse en 2005, Gérard Jan revient en ami, nous offrir les parfums de l’Italie, la Rome antique et contemporaine, le vent en lisière de forêts, la majesté des arbres qu’il aime. Avec ses encres monotypes, il poursuit sa quête du témoignage unique, jouant des textures et des tonalités des papiers appliqués, des contrastes clairs-obscurs, d'un sens aigu du cadrage et de la composition. Ce premier catalogue que nous lui consacrons présente une sélection significative des œuvres de sa double exposition qui mêle les deux techniques du pastel et de l’encre-monotype et voit se succéder les deux thèmes.  / Yves Callet-Molin

Le Monotype ou l'Art du Paradoxe

L'idée n'est pas de réduire une œuvre à la technique qui la représente.
Mais dire la singularité d'une trace d'encre grasse déposée sur une plaque de cuivre avec un pinceau, un rouleau ou un tampon, garder cette trace ou la modifier à l'envi, puis l'imprimer sur le papier qui en devient la révélation et la mémoire. Dès lors, les jeux sont faits, l'acte est validé ou sanctionné, sans repentir.
Quand la Gravure détermine l'estampe par le multiple, au moyen de l'alchimie des morsures du métal, des striures et autre sillons, creusets aux destins immuables, l'Encre monotype livre l'expression d'un instant, l'unique témoignage d'une tentative d'absolu.

mardi 21 mai 2013

Texte de Jean-Claude CAZAUX


Gérard Jan est un créateur et un révélateur,
un révélateur du sens caché.
Monotypes, pastels se croisent sous sa main,
la maîtrise technique nous captive, le rendu des
monotypes, l’agencement du chine appliqué, les
subtils espaces colorés des pastels, les compositions
architecturées, la diffusion de la lumière…
Puis au-delà de l’apparence des formes et des sujets
familiers représentés ou revisités, nous sommes saisis
par le mystère de l’animation intérieure.
Gérard Jan nous fait appréhender l’essence des objets,
monuments, constructions, lieux, futaies, qui se révèlent
à nous dans leur intensité intérieure.
L’enveloppe matérielle est soulevée, l’intrinsèque et
la magie du mystère créatif s’imposent.
Merci, Gérard.

Exposition dessins / pastels / monotypes

Musée Raymond Lafage /Avril / Mai / 2013

mercredi 22 août 2012

Pastels et Monotypes


Pastels et monotypes

Publié le 07/08/2012, dans Biarritz | par La Semaine du Pays basque
Du noir à la couleur, du monotype au pastel, Gérard Jan, artiste polyfacettique, est un explorateur de la matière et de l'espace, des formes et des forces, de l’ombre à la lumière.

Lorsqu'il a créé sa galerie en 2007, Jean-Claude Casaux souhaitait réserver une large place à l'art de la gravure sous ses différentes formes, en lui dédiant en particulier un étage. On y retrouve régulièrement des œuvres de grands artistes spécialisés dans ce domaine complexe et contraignant, exigeant une grande maîtrise de ceux qui s'y adonnent. Gérard Jan en fait parti et ses travaux figurent depuis des années en bonne place dans la galerie. Il a en outre participé à des expositions collectives temporaires installées dans la vaste salle du rez-de-chaussée ; Jean-Claude Cazaux lui a aussi offert des expositions personnelles, comme celle que l'on peut découvrir jusqu'au 26 août qui propose non seulement 33 monotypes, mais également 16 pastels.
Gérard Jan domine ces deux techniques différentes et complémentaires, l'une jouant des jeux de contraste et de transparence de l'encre sur le métal puis du travail délicat du tirage unique sur papier, l'autre offrant un rendu immédiat, la possibilité de superposer ou juxtaposer les couleurs, de créer des harmonies subtiles si l’on sait maîtriser une gamme chromatique avec mesure, sans pour autant multiplier excessivement les constrastes colorés. L'artiste a l’esprit curieux et dès son adolescence, il a été attiré par les techniques anciennes. Un peintre suisse l’a initié à la pratique de la peinture et de la gravure puis Gérard Jan s'est formée avec délectation à l'école des Beaux-arts de Toulouse, avec le grand gaveur René Izaure qui dirigeait l'atelier enseignant son art. Il a su transmettre à ses étudiants le goût de l'exigence et de la rigueur, la patience nécessaire face une technique difficile et parfois éprouvante entre la nécessité de réaliser un dessin très précis, avec force légèreté, finesse et densité, matérialisée par le ciselage de la plaque de cuivre ; tout ceci devant également s’allier à une maîtrise de la lumière, basée sur des contrastes de valeur et l'intensité des noirs, la transparence des encres sur le blanc ou du support induisant la profondeur et permettant d'explorer une vaste gamme de gris nuancé. Pendant des années, Gérard Jan a pratiqué l'eau forte. Puis il s'est à donner aux monotypes, en adaptant ses gestes et sa technique. Il est délaissé la pointe à graver pour le pinceau, se mettant à « peindre en négatif », le tirage unique inversant le dessin initial. Cette nouvelle pratique lui a ouvert des champs d'expression différents.
La rencontre avec le pastel s'est faite en 1990. Déterminante, elle a permis l'irruption des couleurs et apporté une belle complémentarité avec les pratiques du monotype. « À travers le noir et la couleur j'interroge l'espace et la matière avec le prisme de la lumière, toujours au centre des préoccupations » reconnaît l'artiste qui ajoute « je cherche à traduire l'indicible en reconduisant le regard au-delà de la simple apparence des choses. Je suis avant tout un contemplatif. » C'est bien en effet ce que ressent le visiteur attentif. Figuratives, ses œuvres attachantes, vibrantes, poétiques, lumineuses, fines et sensibles créent de l'émotion et incitent à la réflexion, à la méditation. Elle révèle en outre l'amour de leur auteur pour les voyages, son regard original et tendre pour certains lieux, sa passion pour la nature, les paysages, les arbres - les cyprès toscans notamment, donc il a su traduire l'élégance graphique. Le contemplatif alors, en créant ses compositions à la fois subtiles, fortes, vibrantes, devient narrateur, raconteur et poète non avec des mots mais par la magie des formes, des contrastes colorés et des harmonies vibratoires fait naître puis partage avec ardeur, bonheur et générosité.

Jusqu'aux 26.8.2012
Galerie Jean-Claude Cazaux
26 avenues de Verdun Biarritz
Entrée libre du mardi au dimanche matin de 10h30 à 12h30 de 16h à 19h ou sur rendez-vous aux 06.14.64.58.90 www.galerie-jean-claude-cazaux.com

lundi 25 juin 2012

Pastels de Gérard Jan


Quant au pastel, c’est aussi une technique ancienne, employée continûment depuis le XVe siècle, par Léonard de Vinci ( 1452-1519), Charles le Brun (1619-1690), Robert Nanteuil (1623-1678), Rosalba Carriera (1675-1757), Jean Siméon Chardin (1699-1779), Jean-Étienne Liotard (1702-1789), Maurice Quentin de La Tour, (1704-1788), Jean Baptiste Péronneau (1715-1783), Degas (1834-1917), Odilon Redon (1840-1916), Edouard Vuillard (1868-1940). Entendons-nous sur le sens du mot pastel : il s’agit pour cette série de peintres à la suite desquels s’inscrit notre artiste, de pastels secs, les pastels gras étant des inventions du XXe siècle. Les pastels secs sont des pigments mêlés à une charge de poudre de craie et à un liant, la gomme arabique. On les trouve en bâtonnets, en carrés, en crayons, plus ou moins friables ou durs selon le dosage des constituants. L’effet immédiat du pastel a séduit depuis longtemps les graveurs, astreints à travailler à l’envers et à un rythme lent : Nanteuil s’en servait pour esquisser en deux heures ses portraits au burin qui lui coûtaient des mois de travail. Mais pour Gérard Jan le pastel est aussi le résultat de longs préparatifs. Il connaît les recettes de Rubens et toute la cuisine des peintres anciens. Il fabrique lui-même ses fonds plutôt que d’employer ceux du commerce. Il étend sur un carton de bois mince, chimiquement neutre, un apprêt où entrent de la poudre de marbre, de la colle, du gesso et un pigment, vert, brun ou gris. Le fond obtenu présente une surface abrasive, qui accroche bien la craie et est gourmande en pastel. Le fond est lui-même fait de plusieurs couches. Le fond vert sombre, dit verdaccio, fait ressortir par contraste les tons roses des chairs. Le fond gris a une sous-couche de rouge. Le choix du fond est le début d’une stratégie des couleurs, il fait la moitié de l’œuvre. Après la confection du fond vient un dessin préparatoire sommaire, au fusain ou à la sanguine, qui met en place les masses et leurs proportions, puis la mise en couleurs qui conjugue plusieurs facteurs : le jeu d’opposition entre les teintes chaudes et froides, la complémentarité des couleurs, qui s’exaltent l’une l’autre et dont les effets optiques ne sont pas simplement proportionnels à leur surface, mais résultent aussi de la proximité et du contact des zones. Outre cette géométrie des couleurs et des formes, il faut encore chercher une écriture, une façon de tracer ou d’estomper le trait, de mêler les teintes ou de laisser voir les couches sous-jacentes par transparence après avoir appliqué un fixatif à chacune. Gérard Jan laisse sous nos yeux une surface entièrement travaillée, un dessin fini, qui ne laisse rien d’inachevé. La surface visible est granuleuse, inégale, lacunaire, elle laisse entrevoir les dessous, la profondeur des couches et leur superposition. Tels sont pour le pastelliste, les armes et le périmètre du combat avec l’ange.
Les voyages de l’artiste dans la zone méditerranéenne ont laissé des traces dans son œuvre : les cyprès, les toits en terrasse, les pins parasols, les murs aux couleurs vives. On y retrouve la Rome antique, mais aussi des immeubles modernes ou contemporains. Ce qui importe, c’est moins l’identité du bâtiment que la géométrie de ses murs. Leurs formes rectangulaires, présentées volontiers de front, contrastent avec les bouquets arrondis et irréguliers des arbres, ou les nuages d’un blanc cotonneux. Les ombres bleues froides s’opposent aux murs ensoleillés, les arbres en boules opaques aux lances des cyprès. Le vide de ces cités imaginaires, intactes et silencieuses, sans habitants ni traces de vie, n’est plus celui des premières gravures : ni Pompéi, ni Hiroshima, ce ne sont pas des ruines où la vie passée aurait laissé des traces, ce ne sont pas non plus des décors de théâtre qui attendent encore l’arrivée des acteurs et le lever de rideau, ni des visions futuristes d’architecte optimiste. C’est « un rêve de pierre », une sélection dans un monde réel et chargé d’histoire, faite par un regard qui ne voit pas les déchets, les autos, les fils électriques, les panneaux de signalisation du paysage moderne. Haïssant le mouvement qui déplace les lignes, Gérard Jan ne voit plus que la Beauté des formes pures, dans un présent qui peut durer une éternité.

Michel Wiedemann
Bordeaux juin 2012.

jeudi 14 juin 2012

Estampes de Gérard JAN


Estampes de Gérard Jan


Gérard Jan, né en 1961, est issu d’une famille de vignerons du Minervois, Elevé par ses grands parents, puis mis en pension, il a travaillé dans des restaurants pour payer ses études à l’école des Beaux Arts de Toulouse. Il a suivi là-bas le cursus ordinaire et a rencontré le dessin et la gravure réunis en la personne de René Izaure. Ce professeur, lui–même élève de Louis Louvrier, l’héritier scrupuleux de la gravure de reproduction du XIXe siècle, lui a transmis son intérêt pour les paysages méridionaux , marqués par les saules, les cyprès, les canisses et le vent. De cet enseignement, Gérard Jan a retenu à son usage les techniques de l’eau-forte et de l’aquatinte qu’il combine volontiers.

Il a surtout rencontré Piranese. Ce graveur architecte du XVIIIe siècle s’est illustré par des vues de Rome, et de ses environs, des antiquités de Pompéi et d’Herculanum, des relevés exacts de décors de sarcophages, d’inscriptions, d’objets de fouille, de statues et de vases. Mais la valeur artistique des gravures de Piranese se manifeste encore dans des architectures imaginaires, rendues gigantesques par le rapetissement des figures humaines, par les perspectives surprenantes, au ras de l’eau, au ras du sol, à vol d’oiseau, par les vues de prisons fantasmées, peuplées de captifs, enfoncées de plusieurs étages sous la terre, meublées d’instruments de tortures et de machines délabrées. A ces paysages ne manquent pas les mendiants, les ouvriers des fouilles, les curieux d’antiquité, les captifs, mais sur tout ce monde plane l’ombre de la mort, les os sortent de la terre et des sarcophages, les inscriptions dans le marbre se brisent, les édifices les plus majestueux s’écroulent et ne ressuscitent que dans les vues idéales de l’architecte. De Piranese, Gérard Jan a d’abord gardé les lumières qui tombent dans des bâtiments obscurs (Formes du silence), l’éclairage rasant qui fait ressortir la texture des pierres, des briques, du métal et du bois (Chemin de travers, Envoutement de la lumière). Il a emprunté à Piranese l’arche noire, le point de vue au ras de l’eau du Pont incendié, il lui doit aussi le goût mélancolique pour le spectacle de la ruine. Saint Etienne, cathédrale de Toulouse, Saint Sernin, les Jacobins ne sont pas encore écroulés, mais dans Dérive immobile, Découverte du temps qui s’achève, Le monde parallèle, on voit ces édifices envahis de végétaux grimpants, encombrés de palissades, de planches, d’outils abandonnés, les voûtes écroulées, les arcs à ciel ouvert. A part les deux moines passant avec leur bourdon devant l’église gothique de Le monde parallèle, et une foule armée de piques sur le pont de Toulouse (Le pont incendié), les ruines sont désertes. Le Moyen-Age a remplacé l’Antiquité dans le vocabulaire des formes, puis les formes gothiques ont été remplacées par les édifices du XIXe et du XXe siècle : pile de viaduc en pierre de taille, pont de chemin de fer en ruine, château d’eau en briques, dépôt de chemin de fer, maison d’éclusier, passerelle métallique, demeures néo-gothiques, cabanes d’ostréiculteur, mais la méditation continue sur les marques du temps, la dégradation des œuvres humaines, la chute des civilisations, et tout objet abandonné dans le bric-à- brac obscur entre deux contreforts, sous une voûte d’escalier, devient une vanité, un memento mori de notre temps.

Il y avait cependant une vie dans ces monuments et ces paysages déserts, on en a des traces : les voiles qui sont suspendus devant les monuments médiévaux de Toulouse (Découverte du temps qui s’achève, Ciel ouvert , Dérive immobile), indices de chantier, les objets abandonnés, planches, roues, pieux, cercles de tonneaux, fenêtres, ferrailles, escalier, échelles, grilles, bâches, garde-fou, fagots de piquets, reliques du travail humain dont les empilements sont l’indice d’une retraite inexpliquée. Dans la campagne, les troncs même des saules portent les marques des tailles d’antan. Mais la vie vient du vent : les herbes sont couchées par son souffle, les canisses sont à terre, les cyprès n’ont plus de branches ni d’aiguilles, ce sont des flammes qui s’élèvent en ondulant.
Le mouvement vient aussi des lignes du dessin, des obliques qui traversent l’image et contredisent la frontalité des vues monumentales. Il vient enfin du cadrage qui coupe les objets (Galerie, Le pilier, Le dépôt) et oblige à poursuivre les lignes hors champ.

Anticipation de la ruine, mélancolie, silence de l’homme, mais aussi survie de ses traces dans les choses, acuité sans pareille du regard sur les matières, netteté de la lumière et des effets qu’elle produit, tels sont les traits du monde que Gérard Jan a conçu, puis quitté pour explorer d’autres voies.


En parallèle à la gravure, Gérard Jan s’est d’abord engagé dans l’art du pastel, qu’il pratique toujours, puis dans le monotype, qui a éclipsé chez lui la gravure. Le monotype est une forme de l’estampe inventée au XVIIe siècle par Giovanni Benedetto Castiglione (1616-1670), peintre et graveur de Gènes émule de Rembrandt, et reprise au XIXe siècle par Degas. L’artiste dessine sur le cuivre avec une encre grasse, puis pose une feuille de papier sur son dessin et fait passer cuivre et papier sous presse. Le dessin se détruit sur le cuivre en s’imprimant sur le papier. Un seul tirage conserve le tracé de l’artiste, tout en lui ménageant des surprises par l’écrasement de l’encre et les hasards de l’empreinte. Il y a dans les monotypes de Gérard Jan des combinaisons des deux modes de dessin, par apport d’encre, au rouleau ou au pinceau, par enlèvement au moyen de bâtonnets, de cotons-tiges, d’objets divers. Il ajoute à cet héritage technique l’emploi de bandes, de carrés de papier japon très fin, Celui-ci prend l’encre mieux que le papier épais des gravures en taille-douce. Ce japon se détache du fond blanc par sa couleur jaune, par sa texture, où se voient encore des fibres végétales, par le contour découpé, ou plutôt déchiré de ses bords. Ces œuvres, dont l’aspect est de loin comparable aux manières noires, sont à regarder de près : tout l’effet repose sur d’infimes nuances de gris, sur des marques dans la pâte qu’il faut tracer vite, avant que l’encre n’ait séché. En quatre heures tout doit être terminé. Le monotype imprimé est logiquement signé et numéroté 1/1, ce qui résume ses propriétés contradictoires d’estampe et d’œuvre unique. Considérons encore son format : il est certes limité précisément par les dimensions du plateau de la presse et par la largeur du cylindre, plus généralement par le temps de séchage de l’encre, mais le temps de réalisation est bien inférieur à celui d’une eau-forte ou d’un burin. Le monotype est tracé directement sur la plaque, sans desssin préparatoire sur papier. Plus rapide que les autres techniques de l’estampe, le monotype ne permet cependant pas de travailler sur place, il faut œuvrer en atelier , à côté de la presse, d’après une moisson de souvenirs et de documents.

Quels sont les sujets que Gérard Jan traite par ces moyens ? Le plus abondamment représenté est l’arbre. Moins le chêne, vieux héros luttant seul contre les vents, que les jeunes peupliers plantés en rangs serrés, souvenir du paysage de l’enfance. Il y a des masses d’arbres qui, vues de front, forment un rideau qui ferme la vue, il y a des bouquets isolés dans une vaste plaine, des blocs sombres qui sont séparés par une tranchée de jour. On reconnaît les espèces, le pin, le cyprès, le peuplier. Ces arbres finement ramifiés qu’un rai de lumière sort d’une masse noire d’encre, s’enfoncent dans l’ombre de l’autre côté. Mais les irrégularités singulières de chacun sont intégrées dans la masse du chœur, parfois partagé comme dans la tragédie antique.
Il y a aussi des fragments d’Italie ou d’Espagne, de Rome , mais encore de villes sans nom, des portiques, des temples, des palais, des maisons de style classique hautes de plusieurs étages. Ces fruits du voyage, du dépaysement et du choc sensible de la découverte sont stockés sous forme de photos en noir ou en couleur. Mais la photo montre trop, l’artiste ne retient pas tout ce qu’elle met en boîte. On reconnaît le Colysée, la tour de Pise, le forum romain, les ruines d’Ostie, ses autres vues de villes ne sont pas identifiées : le monotype n’en retient que les formes géométriques, les marques les plus générales d’une époque et d’un style. Le flou, l’essuyage, le non finito, les masses d’ombre envahissantes enlèvent tout ce qui est éphémère. Gènes, la Toscane, l’Ombrie, Rome, la Sicile, l’Aragon ont fourni les éléments dont sont issues les œuvres de ce filon.
Il en est un autre qui ne requiert pas de voyage, c’est celui des natures mortes. Fruits et légumes, vases, verres, bouteilles, burettes, cruches, pots de toute sorte, presse-ail, outils du cuisinier et du peintre, tel est le vocabulaire intime que l’artiste soumet à ses transformations. Certes il a vu dans les musées les natures mortes de Morandi : il en a retenu le groupement d’objets se détachant sur un fond uniforme, mat, sans brillances, ni reflets, qui envoient des ombres sans en avoir de propre. Il a pris des élements de son outillage d’artiste : passoires, rouleau encreur, pinceaux. Les objets ne donnent pas lieu chez Gérard Jan à de subtils reflets dans les ombres, ils ont une présence plus brutale, ils ne renvoient pas à des significations allégoriques par un code plus ou moins secret. S’il y a des vases, il n’y a pas de fleur fugace, ni de vers rongeur, ni de mouche annonciatrice de corruption. Les objets n’entrent pas non plus dans des compositions d’ordre supérieur, qui seraient des synecdoques de la musique, de l’architecture, ou d’on ne sait quelle entité abstraite, ils sont comme ils sont. Gérard Jan, suivant le poète, mais sans rien dire, a pris le parti des choses hic et nunc.


Michel Wiedemann
Bordeaux le 12 juin 2012.

mardi 3 avril 2012

Article paru dans Rictus Magazine

Ottorino Respighi et Gérard Jan

mercredi 18 janvier 2012 par Gabriel CloquetCC by-nc

De Respighi, compositeur impressionniste du XX ème siècle, à Jan, peintre de monotypes impressionnants du XXIème.
La réalité d’une situation imprévue et surprenante avec l’impression que deux œuvres sont en adéquation alors qu’à priori rien ne les rapproche culturellement peut-elle être vécue comme une absurdité ?
La sensation structurée et inconsciente d’avoir vécu musicalement l’image présentée par un monotype à l’encre de Gérard Jan nous a récemment provoqué.
Il s’agissait d’évaluer les traits communs de ces deux œuvres pour essayer de sortir d’un imaginaire à priori perturbé.
Le poème symphonique " Pini di Roma" d’Ottorino Respighi dans sa troisième partie "Pini del Gianicolo" évoque de manière signifiante cette atmosphère romaine.
La nuit, l’ombre des arbres, les ruines et le silence entre les notes qui font la vraie musique : le solo somptueux de clarinette et le clair-obscur de la gravure qui "dégage l’image des ténèbres".
Le musicien, influencé par Debussy, donne une conception voluptueuse de la nuit romaine avec un champ d’oiseau sur le murmure des feuilles de l’arbre.
Le peintre décrit le même dépouillement.
"je vous dois la vérité en peinture" disait Degas en commentant ses monotypes. La même impression se réalise dans l’analyse du dessin : la pudeur et la détermination, les délices somptueux d’un moment rare avec l’idée synthétique d’éléments antinomiques, modernes et classiques, voire romantiques.
Ces deux créations semblent s’illustrer l’une l’autre et s’éclairent comme des miroirs opposés.
Les quelques minutes de sérénité et de bonheur intense, vécues de façon fortuite et inespérée ne nous empêche aucunement de penser à ce vieil adage allemand "Einmal ist keinmal" : une fois ne suffit pas, une fois ne compte pas.
Osons parfois, si cela est, commettre un délit d’interprétation surprenant.
Gérard Jan est présenté en permanence à la Galerie Chantal Mélanson à Annecy


lundi 2 avril 2012

Extraits d'articles parus dans Pratique des Arts et Artistes Magasine


Entretient avec Françoise Coffrant. Artiste Magazine.
« Les sujets se présentent à moi, je ne les cherche pas. Je m’imprègne de ce qui m’entoure, mon environnement propose de nombreuses sources d’inspiration. Mes voyages, en Italie surtout, me permettent de travailler sur les thèmes qui me sont chers, des architectures souvent colorées, aux formes élégantes, en harmonie avec des paysages aux allures de jardins. J’y puise des registres de forme et de couleurs, des atmosphères reliées à des souvenirs. Mon travail, mes images sont les manifestations d’un témoignage, d’un regard singulier porté sur les choses, et mes intentions se révèlent dans ces rencontres particulières avec ce qui me touche ».
Entretient avec David Gauduchon. Pratique des Arts.
«  Mon gout pour les balades et les voyages sont au cœur de ma peinture. J’ai une passion pour les arbres et les collines qui entourent le pays toulousain et, a contrario, pour les architectures urbaines, celles de l’Italie qui offrent un véritable voyage dans le temps : l’élégance graphique des cyprès, les ombres et les lumières qui découpent des paysages minimalistes…j’aime aussi traduire cette impression de nonchalance palpable, propre au caractère méditerranéen. La matité du pastel sied si bien à cette réalité douce, à la fois sculpturale et minérale.(…)
Un sujet est avant tout une évidence, une affaire de rendez-vous qui doit susciter le besoin impérieux d’être prolongé, comme une rencontre. Je guette le spectacle de la lumière, souvent sensuelle, qui me renvoie à ce que j’appelle la psychologie des couleurs, intimement liée à mon état d’esprit du moment. La nature permet de se renouveler, d’éviter toute forme d’ankylose. Face à l’infinité des nuances qu’elle recèle, je ressens très souvent le besoin de resserrer les enjeux colorés, deux ou trois teintes et leurs complémentaires, tout au plus.
Portrait :
Toulousain d’origine, Gérard jan « étudie la gravure aux Beaux-arts de Toulouse de 1979 à 1985, dans l’atelier de René Izaure. Après avoir exercé son métier de taille-doucier et travaillé entre autre pour l’édition, il découvre le pastel dans les années 1990 et poursuit parallèlement une recherche autour du monotype. De 2006 à 2009, Gérard Jan multiplie les séjours en Italie ou il se passionne pour la renaissance italienne à Florence et pour la Rome antique.
Ses œuvres sont régulièrement présentées à la galerie Chantal Mélanson (Annecy), à la galerie Yves Callet-Molin (Vevey, suisse), à la galerie Peinture Fraiche (Paris), à la galerie Jean-Claude Cazaux (Biarritz)…
Pour connaitre le programme des prochaines expositions en France et à l’étranger : www.gerardjan.com