mercredi 18 février 2015

Texte d'Yves Callet-Molin

La Passion silencieuse

Il est des êtres que la nature a dotés merveilleusement, au-delà des critères de normalité. Ils ont, dans leur discipline, des talents si singuliers qu’ils semblent appartenir à un autre monde. Si la musique permet la reconnaissance précoce de ces talents, d’autres arts sont plus discrets dans leur expression.
Gérard Jan fut tout d’abord ce dessinateur et graveur qui forçait la considération des maîtres - comme René Izaure, qui le traitait en fils spirituel - par la virtuosité du trait, la sûreté du geste, alliées à une sensibilité et à un regard. Il a su ne pas se contenter de cette dangereuse facilité, la dépasser en travailleur infatigable et acharné, faisant preuve de rigueur et d’une patience de Bénédictin dans le ciselage de ses plaques.
Gérard Jan grave comme Piranèse, Dürer et Rembrandt. Ses eaux-fortes sont un hymne au clair-obscur ; elles allient densité et finesse, force expressive et légèreté. Ses paysages fouillés à l’extrême mêlent subtilement les ambiances d’un âge reculé, médiéval ou classique, aux traces d’une révolution industrielle, nous plongent en des mondes parallèles, jouent des rapports d’échelles. L’époque est à la rapidité de réalisation. Comme un Desmazières aujourd’hui, il fait partie de ces très rares artistes qui conjuguent le patient labeur de plusieurs mois sur la même plaque au talent créateur et à la singularité expressive. Sa très grande discrétion et son humilité complètent le tableau d’un artiste au plein sens du terme, éloigné des feux de la rampe et de ses clinquants, peu préoccupé d’occuper le devant de la scène, en un temps où le seul discours et la suffisance font souvent office de talent.

La technique virtuose de Gérard Jan l’amène à transcender les règles et possibles de l’encre-monotype. Si la gravure le pousse aux confins de la technique, en des mondes de profondeurs et de lumières qui se livrent en un travail de longue haleine, l’encre-monotype requiert un état mental particulier, un geste rapide et sûr. Dépouillement et force, pour dire l’essentiel. Avant que l’encre ne sèche sur la plaque de cuivre, il y installe la retranscription époustouflante d’objets du quotidien qui en deviennent sculpturaux, les installe en lisière d’un fond sombre, jouant du plein et du vide, fait preuve d’un sens aigu de la composition, du cadrage et des tensions qu’ils génèrent. La plaque est essuyée pour que ne subsiste que cette mince trace sombre qui dessine l’œuvre, en positif comme en négatif, par soustraction de l’encre. Avant que d’attaquer la plaque, il a, dans sa tête, composé déjà son œuvre, humidifié son papier Rives, préparé les Chine et Japon qui attendent, humectés, d’insuffler de nouvelles valeurs à cette épreuve unique.

Sa quête actuelle nous parle de Rome et de l’Italie, de ses paysages urbains et de ses collines, et encore des arbres, des futaies, tracés d’un branchage et au pinceau. Le poète nous invite en son jardin.

Maître du noir et blanc, Gérard Jan joue avec un égal bonheur de la couleur. Le pastel est son medium. En couches superposées, laissant transparaître les strates inférieures dans un velouté de tons rares, ses paysages ont cette même force expressive et vibrent de ces sous-jacences. La singularité de son écriture se retrouve dans l’art de mettre en espace ses compositions. Sa science de la couleur et un sens inné des juxtapositions osées provoquent des fulgurances qui forcent l’évidence.

Habitué déjà de nos cimaises, après une première rencontre lumineuse en 2005, Gérard Jan revient en ami, nous offrir les parfums de l’Italie, la Rome antique et contemporaine, le vent en lisière de forêts, la majesté des arbres qu’il aime. Avec ses encres monotypes, il poursuit sa quête du témoignage unique, jouant des textures et des tonalités des papiers appliqués, des contrastes clairs-obscurs, d'un sens aigu du cadrage et de la composition. Ce premier catalogue que nous lui consacrons présente une sélection significative des œuvres de sa double exposition qui mêle les deux techniques du pastel et de l’encre-monotype et voit se succéder les deux thèmes.  / Yves Callet-Molin

Le Monotype ou l'Art du Paradoxe

L'idée n'est pas de réduire une œuvre à la technique qui la représente.
Mais dire la singularité d'une trace d'encre grasse déposée sur une plaque de cuivre avec un pinceau, un rouleau ou un tampon, garder cette trace ou la modifier à l'envi, puis l'imprimer sur le papier qui en devient la révélation et la mémoire. Dès lors, les jeux sont faits, l'acte est validé ou sanctionné, sans repentir.
Quand la Gravure détermine l'estampe par le multiple, au moyen de l'alchimie des morsures du métal, des striures et autre sillons, creusets aux destins immuables, l'Encre monotype livre l'expression d'un instant, l'unique témoignage d'une tentative d'absolu.