Quant au pastel, c’est aussi
une technique ancienne, employée continûment depuis le XVe
siècle, par Léonard de Vinci ( 1452-1519), Charles le Brun
(1619-1690), Robert Nanteuil (1623-1678), Rosalba Carriera
(1675-1757), Jean Siméon Chardin (1699-1779), Jean-Étienne Liotard
(1702-1789), Maurice Quentin de La Tour, (1704-1788), Jean Baptiste
Péronneau (1715-1783), Degas (1834-1917), Odilon Redon (1840-1916),
Edouard Vuillard (1868-1940). Entendons-nous sur le sens du mot
pastel :
il s’agit pour cette série de peintres à la suite desquels
s’inscrit notre artiste, de pastels secs, les pastels gras étant
des inventions du XXe
siècle. Les pastels
secs sont des pigments mêlés à une charge de poudre de craie et à
un liant, la gomme arabique. On les trouve en bâtonnets, en carrés,
en crayons, plus ou moins friables ou durs selon le dosage des
constituants. L’effet immédiat du pastel a séduit depuis
longtemps les graveurs, astreints à travailler à l’envers et
à un rythme lent : Nanteuil s’en servait pour esquisser en deux
heures ses portraits au burin qui lui coûtaient des mois de travail.
Mais pour Gérard Jan le pastel est aussi le résultat de longs
préparatifs. Il connaît les recettes de Rubens et toute la cuisine
des peintres anciens. Il fabrique lui-même ses fonds plutôt que
d’employer ceux du commerce. Il étend sur un carton de bois mince,
chimiquement neutre, un apprêt où entrent de la poudre de marbre,
de la colle, du gesso et un pigment, vert, brun ou gris. Le fond
obtenu présente une surface abrasive, qui accroche bien la craie et
est gourmande en pastel. Le fond est lui-même fait de plusieurs
couches. Le fond vert sombre, dit verdaccio, fait ressortir par
contraste les tons roses des chairs. Le fond gris a une sous-couche
de rouge. Le choix du fond est le début d’une stratégie des
couleurs, il fait la moitié de l’œuvre. Après la confection du
fond vient un dessin préparatoire sommaire, au fusain ou à la
sanguine, qui met en place les masses et leurs proportions, puis la
mise en couleurs qui conjugue plusieurs facteurs : le jeu
d’opposition entre les teintes chaudes et froides, la
complémentarité des couleurs, qui s’exaltent l’une l’autre et
dont les effets optiques ne sont pas simplement proportionnels à
leur surface, mais résultent aussi de la proximité et du contact
des zones. Outre cette géométrie des couleurs et des formes, il
faut encore chercher une écriture, une façon de tracer ou
d’estomper le trait, de mêler les teintes ou de laisser voir les
couches sous-jacentes par transparence après avoir appliqué un
fixatif à chacune. Gérard Jan laisse sous nos yeux une surface
entièrement travaillée, un dessin fini, qui ne laisse rien
d’inachevé. La surface visible est granuleuse, inégale,
lacunaire, elle laisse entrevoir les dessous, la profondeur des
couches et leur superposition. Tels sont pour le pastelliste, les
armes et le périmètre du combat avec l’ange.
Les voyages de l’artiste dans
la zone méditerranéenne ont laissé des traces dans son œuvre :
les cyprès, les toits en terrasse, les pins parasols, les murs aux
couleurs vives. On y retrouve la Rome antique, mais aussi des
immeubles modernes ou contemporains. Ce qui importe, c’est moins
l’identité du bâtiment que la géométrie de ses murs. Leurs
formes rectangulaires, présentées volontiers de front, contrastent
avec les bouquets arrondis et irréguliers des arbres, ou les nuages
d’un blanc cotonneux. Les ombres bleues froides s’opposent aux
murs ensoleillés, les arbres en boules opaques aux lances des
cyprès. Le vide de ces cités imaginaires, intactes et silencieuses,
sans habitants ni traces de vie, n’est plus celui des premières
gravures : ni Pompéi, ni Hiroshima, ce ne sont pas des ruines
où la vie passée aurait laissé des traces, ce ne sont pas non plus
des décors de théâtre qui attendent encore l’arrivée des
acteurs et le lever de rideau, ni des visions futuristes d’architecte
optimiste. C’est « un rêve de pierre », une sélection
dans un monde réel et chargé d’histoire, faite par un regard qui
ne voit pas les déchets, les autos, les fils électriques, les
panneaux de signalisation du paysage moderne. Haïssant le
mouvement qui déplace les lignes,
Gérard Jan ne voit plus que la Beauté des formes pures, dans un
présent qui peut durer une éternité.
Michel
Wiedemann
Bordeaux
juin 2012.

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